1976

Si en quelques années le bas et le côté pair de la rue des Caves se sont peuplés, le 22-23, le 25, les immeubles qui bordent la Ruelle de la Pointe et la rue de Ville d'Avray dans sa partie basse sont vides et sinistres. "La nature a horreur du vide" dit-on, en l'occurrence, la nature a pris le visage d'un groupe de lycéens qui préparent les Beaux-arts. Si l'on veut être plasticien et s'adonner à son art, mieux vaut ne pas avoir un gros loyer. L'argument économique n'est d'ailleurs que peu utilisé par Thierry, Gilles, Patrick et Véronique. S'ils se sont lancés dans les travaux nécessaires à leur installation, c'est plutôt pour vivre autre chose à l'écart d'une société qui s'abrutit de télévision et de publicité. Mais rendre le 25 habitable n'est pas une mince affaire, un appel à la mobilisation générale est lancé. Plusieurs lycéens qui farnientent dans un café

de la Grande Rue, chez madame Malpiece, l'entendent distinctement. Christophe arrive le premier et se met au travail. Les soeurs Montmoulinex ne tardent pas à suivre. Quasiment en même temps d'importants travaux commencent au 28, Dominique,que tout le monde appelle Doumé, et Annette envisagent de s'y installer. Norbert, l'ami de Doumé, les assiste efficacement et son aide n'est pas de trop. Le toit de zinc a été arraché et toute la tuyauterie volée. Un grand nombre de portes et de planchers manquent. Au 28 comme au 25, l'installation n'a été possible que grâce au soutien du 22. La Compagnie des eaux et EDF-GDF refusent d'installer des compteurs, les nouveaux immeubles n'ont d'autre solution que de "se brancher". Les conduites d'eau, immenses cordages de PVC noir, relient tout le haut de la rue au navire amiral qu'est le 22. Amarrages de fortune dans un premier temps, ils se reforcent au fil des mois. Le 14 juillet une tranchée est même creusée

 
Barrage devant le 14

à travers la rue vers le 25 afin d'éviter les câbles aériens si laids et...si voyants. La mairie est toujours prête à intervenir, mieux vaut être prudents. Le raccordement aux compteurs d'eau et d'électricité crée un lien économique entre les immeubles et les nouveaux arrivants s'inscrivent donc sur le cahier de comptes du 22, tenu par Denis. Ils participent du même coup au paiement des loyers que versent à la SEMI les locataires et les associations de la première heure. Quoi de plus normal, les immeubles, même bornés par une rue qui peut s'avérer hostile, forment un grand tout. La communauté du début s'est éclatée en sous-groupes distincts, mais les immeubles restent la coquille commune. Au fur et à mesure que des liens se nouent, en particulier avec les nouveaux du 25, certains travaux de gros-oeuvre sont payés par la caisse commune. Les travaux d'installation d'une crêche parentale au premier étage du 28 sont eux pris en charge par les parents. Dominique et Sylvie, qui habitent le 14 ter, y ont leurs enfants, mais d'autres parents extérieurs à la rue s'y investissent également. Le 28 a été choisi du fait de sa proximité avec le jardin du 22. Une porte-fenêtre de plain-pied permet d'y accéder facilement, et ce jardin moyennant quelques aménagements se révèle être pour les enfants un lieu magique. Entre un abricotier aux branches épaisses et un cerisier imposant, les jeux s'organisent. Sous la tonnelle, à deux pas de là, un petit groupe discute d'un projet de nouveau journal, Sèvres rencontres. Le mensuel en préparation a peu de chose en commun avec l'Hebdo Sèvres. Il ne s'agit plus de prolonger les discussions qui animent la rue, mais de bâtir un journal local, régional même, puisqu'il est question d'étendre sa diffusion aux communes voisines : Meudon, Chaville, Ville d'Avray. Le journal doit donner des informations locales et pas seulement des informations politiques. Les lecteurs doivent pouvoir y trouver les nouveaux horaires de la piscine, les spectacles du mois, une chronique historique, une bande dessinée, une recette de cuisine...bref tout ce qui fait le succès d'un journal populaire. Anne et Eddy, qui font partie des plus ardents promoteurs du projet ne sont pas là seulement en qualité d'imprimeurs, le contenu doit beaucoup au militantisme "grand public" qu'ils pratiquent. Le premier numéro de Sèvres rencontres paraît en novembre. Dans la forme, il s'apparente plus à un journal de lycéens qu'à un journal régional, mais dans le fond tout y est , y compris la grille de mots croisés en page 12. Dans le noyau dur de l'équipe, qui passe souvent des nuits blanches à l'imprimerie, on retrouve Denis qui signe Gil Duchamps, Annette et aussi Danielle. Danielle, très investie dans Les Enfants animateurs mais également dans le Mouvement des Femmes, adopte au contact d'Anne et Eddy un profil de plus en plus militant. On commence à la voir aux commissions extra-municipales d'urbanisme. Elle pense, elle aussi, qu'il faut parler du quartier en terme de lutte urbaine, créer ses outils de travail et vivre au pays.


Façade du 26


Porte du 18 - 22

 

 

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