1990

Manu Chao et les Mano Negra ont fait du chemin depuis le temps où ils répétaient à Musiques Tangentes. Ils font maintenant la une des journaux et Libération les considère comme les "enfants prodiges du rock français". Même Jack Lang, le ministre de la Culture, qui tient à se montrer "branché" ne rate pas une occasion de dire tout le bien qu'il pense d'eux. Pour Stéphane, Gaëlle et Catherine, qui viennent d'entendre prononcer l'explusion du Gros Balzac, de "leur" café, la notoriété de leurs copains est une aubaine. Bien sûr, cela ne les sauvera pas de la fermeture, mais cela leur permettra de dire bien haut ce qu'ils ont sur le coeur. La Mano a aussi quelques comptes à régler avec Jean Caillonneau qui l'a expulsée du centre culturel MPMC. Les "jeunes voyous" que la mairie voulaient chasser de la ville, ils en étaient, et plutôt deux fois qu'une. Un concert sauvage est prévu pour le 21 juin. Le jour de la fête de la musique aucune autorisation n'est nécessaire. "Kouillonneau va avoir les oreilles qui sifflent" assure Manu.
En attendant, fort de son jugement d'expulsion, Hercelin demande à une entreprise de murer Le Gros Balzac. Rien ne l'y oblige, c'est une petite gourmandise qu'il

s'offre avant de quitter Emmaüs. On a les plaisirs qu'on peut.
Dominique Deshayes, qui prend sa place, se serait bien passer de ce cadeau de bienvenue. Il voudrait rompre avec la pratique du rapport de force qui s'est instituée entre les habitants et Emmaüs. Il est partisan du dialogue et cherche à comprendre comment on a pu en arriver là. Pour ce qui est du murage, il temporise, cherche à calmer les esprits, renvoie l'entreprise et prend rendez-vous avec l'association.
Le 21 juin, La Mano est à la hauteur de la situation et "Kouillonneau", c'est sûr, a les oreilles qui sifflent. Dominique Deshayes, qui cherche à le rencontrer quelques jours plus tard, le trouve d'une humeur massacrante. "Finissez-en d'abord avec Le Gros Balzac, après, on verra" lui dit-il en substance. En septembre, Le Gros Balzac est muré, proprement, de l'intérieur de façon à ce que cela ne se voit pas, mais muré. Pour Claude Néry, c'était le seul moyen de réouvrir le dialogue avec le maire, et donc d'avancer. Les habitants du 28, qui depuis l'éclatement du collectif il y a presque 10 ans, gèrent les lieux, ont donné leur accord la mort dans l'âme. Ce local qu'ils avaient toujours voulu ouvert sur l'extérieur, disponible pour de nouvelles expériences. Ce local qu'ils avaient protégé contre de nombreuses tentatives de privatisation, et qui était resté le dernier lieu "public" de la rue, est fermé. Décidemment,

 
Photo de groupe dans la cour du 18-22 réalisée par Vincent Schnerb
elle en appelle une autre, réalisée en 1972 par François Montaras

la normalisation coûte cher !
La rue des Caves va avoir 20 ans, mais qu'en reste-t-il ? Le plaisir de s'arrêter trois ou quatre fois en remontant la rue pour discuter avec les uns ou les autres. D'entendre que l'on s'interpelle d'une maison à l'autre. De voir passer à l'improviste un voisin qui n'a plus de sel ou qui vient dire bonjour. Oui il reste tout cela, et aussi pour chacun la possibilité de vivre à sa manière, sans se sentir montré du doigt par son concierge. Il y a rue des Caves plus de mères-célibataires que dans n'importe quel autre quartier de la région parisienne. Il y a des peintres, des musiciens, des photographes qui vivent presque de leur art. Des médecins qui travaillent à mi-temps, des architectes qui se disent inventeurs, des créateurs d'entreprise qui malgré la conjoncture, tentent le coup.

C'est pour préserver cela, auquel ils tiennent peut-être plus qu'à tout le reste, que les Caviens cherchent encore une fois à renouer le fil du dialogue avec Emmaüs. Avec Dominique Deshayes, le dialogue semble d'ailleurs pouvoir reprendre. Il s'engage à faire les travaux d'urgence après une étude technique des immeubles et à réactualiser les permis de construire pour que la réhabilitation ait lieu rapidement. Pour leur part, les habitants s'engagent à fournir tous les éléments sur leur situation familiale et économique actuelle. Rien dans tout cela de très nouveau, si ce n'est que pour une fois, cela semble vrai !
En décembre, une entreprise de bâtiment est chargée par Emmaüs de chiffrer les travaux d'urgence, cela peut paraître un "pas grand chose", mais quand on l'attend depuis huit ans, c'est déjà beaucoup.

 

Suite à suivre