1972

Rouben a depuis quelques mois l'oeil rivé sur la rue des Caves. Il la traverse deux fois par jour sur une vieille mobylette haletante pour aller travailler et projette de s'y installer. Voyant que d'autres l'ont précédé, il se présente, discute le coup, amène des copains. La communauté du 22 est séduite. Ils travaillent, plusieurs sont architectes et sont bourrés d'idées. Très vite, Rouben et Romain s'installent au 18, l'immeuble qui jouxte le 22. Georges Lenormand, qui suit de très près ce qui se passe dans l'ilôt de Ville d'Avray, se rend tout de suite compte de l'installation sauvage au 18 et intervient, flanqué de deux voitures de police. Les deux compères se retrouvent dehors. Qu'à cela ne tienne, ils investissent la rue. Soutenus par leurs nouveaux amis du 22, ils entreprennent de repeindre les façades. "La rue, disent-ils, doit être le prolongement de l'espace intérieur. Il faut se l'approprier, y vivre, la modeler à son image". Sous le pinceau des révolutionnaires, les façades impersonnelles et lépreuses s'éclairent de mille couleurs, de signes cabalistiques et d'affiches. Les peintres entendent bien expliquer aux passants le sens de leur action et si possible les impliquer. Les Sèvriens sont sollicités pour fournir leurs vieux fonds de pots de peinture... Bientôt, on ne sait plus où les mettre.

D'abord interloqués, les habitants du quartier ont réalisé que ces jeunes pourraient bien avoir raison, qu'il doit être possible d'avoir son mot à dire sur l'aménagement de la ville dans laquelle on vit. Un groupe de Sévriens est particulièrment sensible à ce qui se passe rue des Caves. Ce sont les adhérents du Dialogue sévrien. Le "Dialogue" regroupe des gens de gauche hors parti, très investis dans la vie locale. En 68, ils constituaient l'une des antennes du Secours rouge, une association de défense politique et juridique des victimes de la répression. Luciane Albiet, Nicole Dulioust, Mady et Jean Fourquin, Bernard Thomas et leurs amis interpellent le nouveau pouvoir : Votre "Vivre mieux ", écrivent-ils au conseil municipal, est-ce, entre autres, de faire passer un bulldozer dans les rues telle que la rue des Caves, que vous pourriez conserver vivante, un certain temps encore, voire en partie définitivement après examen sérieux des immeubles? La commission extra-municipale du relogement avait proposé d'y installer des immigrés, des personnes âgées ; comme un jeune Sévrien l'a appris à monsieur le maire, cela était possible grâce à des contrats de "location à titre précaire". Mais vous préférez y isoler quelques jeunes. La chasse, pensez-vous, vous sera plus facile. Nous n'en sommes pas si sûrs. La VRAIE VIE, c'est contagieux.
Pour ceux de la rue des Caves, la "vraie vie", en ce mois de mars 1972, c'est d'abord la colère.

 

Numéro spécial du "Sévrien déchaîné" Décembre 1972

Un militant de la gauche prolétarienne, Pierre Overnay, vient d'être assassiné chez Renault par un vigile. Le patronnat aux abois sort ses flingues, il faut, pensent les Caviens, préparer la contre-offensive. Le "GR" Sèvres, lire Groupe Révolutionnaire, est créé. Il se veut semi-clandestin et offensif. Le "sexe faible" est d'ailleur soigneusement tenu à l'écart des coups qui se préparent. En avril, le GR Sèvres, répondant à l'appel de Charlie Hebdo se retrouve au Larzac. Un groupe de paysans s'oppose à l'extention d'un camp militaire sur leurs Causses. Il s'attaque à l'Etat et à sa machine répressive, l'enjeu est de taille. Le soutien des révolutionnaire va de soi. Sur place, des amitiés nouvelles se nouent. Dominique est étudiante en médecine , elle est venue au Larzac avec Nano, Claudia et Jean-Marie. Pour eux aussi, l'important est de changer la vie au quotidien, la rencontre est inévitable. Comme il se doit, elle est fusionnelle. De retour à Sèvres, le dortoir s'agrandit pour accueillir les nouveaux arrivants. Il y a maintenant près d'une vingtaine d'habitants au 22, ce qui s'y vit est si différent, si nouveau que la plupart des Caviens ont abandonné leurs activités extérieures, qui la fac, qui le lycée, qui un travail...pour ne pas perdre la moindre miette de vie commune.


Nono à la fenêtre du 26

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