1979

Depuis quelques mois Bruno fréquente la rue des Caves. Il est toujours au volant d'une Deux chevaux camionnette marquée du sceau de la fameuse Pizza Pino, d'où son surnom "Pépé". Musicien, fou de jazz, il est de toutes les fêtes et personne ne s'étonne de le voir s'installer au 25. D'autant qu'il partage avec Doumé le projet de créer une école de jazz, ils ont déjà son nom : Musiques Tangentes. Plusieurs musiciens sont partants pour donner des cours, Jean-Marc, qui habite lui aussi le 25, et . Pour l'instant, il s'agit plutôt de donner de la truelle. L'aile du 25 dans laquelle Musiques Tangentes veut s'installer est en piteux état. Qu'importe, Eddy Louis et Miles Davis donnent le tempo ! Anne et Eddy sont eux aussi sur la brèche. Seuls quelques proches savent qu'ils préparent l'ouverture d'une coopérative d'alimentation biologique. La Graine, dont ils se sont activement occupés n'était qu'un ballon d'essai. Le local convoité est à l'extérieur du

quartier. Enfin il n'est pas bien loin, il le touche, il le borde. Le 86, Grande Rue est un immeuble qui forme la façade sud du quartier. Bien que de très nombreux appartements de la Grande Rue soient vides, ils n'ont jamais été réoccupés. Il est vrai que les rares tentatives se sont soldées par des échecs. Les commerçants veillent et le commissariat est à deux pas, de l'autre côté du terrain vague. "La coop" est-elle pour Anne et Eddy un changement d'activité ? Ils assurent que non. L'imprimerie Alternative fonctionne très bien et les procès sont en bonne voie. L'été se passe gentiment, mais en septembre changement de tableau : l'imprimerie est expulsée manu militari. "Manu", c'est une entreprise de déménagement, et "Militari" le commissaire de police avec lequel monsieur Pénicault entretient des relations plus que chaleureuses. Les plans juridiques d'Eddy n'étaient pas aussi sûrs qu'il voulait bien le dire. L'émotion est vive, s'attaquer à l'imprimerie, c'est s'attaquer au quartier. Seule la détermination du commissaire et les renforts qu'il a demandés à la sous-préfecture

 
A gauche la maison Gravan où Balzac a séjourné, à droite le 26, 26bis et 28

de Boulogne permettent à Pénicault de mener à bien l'expulsion. Eddy et Anne ne comptent pas en rester là. Un "meeting" est organisé à Danton...Ils font appel du jugement d'expulsion. La police serre les rangs derrière Pénicault, les contrôles se multiplient à "la coop". A tel point que la porte est bouclée et qu'il faut montrer patte blanche pour s'approvisionner en pain Poilâne. La situation dure, se crispe jusqu'à ce qu'en décembre Anne soit inculpée de séquestration de policier. L'histoire de cette séquestration vaut d'être contée. Le 6 décembre, Anne et Eddy sont à "la coop" occupés à ranger des sacs de graines dans l'arrière-boutique, quand ils entendent sonner à la porte. Habitués aux visites de la police, il reconnaissent trois inspecteurs. Anne entrouvre la porte, l'inspecteur Le François interpelle Eddy "cette fois, ça y est, on t'arrête". Eddy ne se le fait pas dire deux fois, il se retourne et monte à l'étage. L'inspecteur pousse la porte et s'élance à sa poursuite suivi de ses deux collègues. Puis se ravisant, il ordonne à l'un des inspecteurs de poursuivre Eddy et à l'autre d'aller chercher des renforts. Déjà, Eddy est sur les toits, Anne, quant à elle, profite du départ du policier pour refermer la porte. Le François la somme d'ouvrir la porte, elle refuse, loin de se douter qu'en voulant calmer le jeu elle se rend coupable de séquestration de policier. L'affaire est évoquée dans les réunions de la Ligue des droits de l'Homme, qui devant la multiplication des bavures policières de tout ordre, vient de créer un comité de défense des citoyens. La revue Actes, pour sa part, sort en décembre un volumineux numéro double intitulé La police...hors la loi ?


Pépé pouponne dans la cour du 25

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