1980

La police se faisant plus discrète, "la coop" de Sèvres a réouvert sa porte. On y trouve quantité de produits biologiques à des prix défiant toute concurrence. Ici les produits ne sont pas emballés, chacun se sert, coupe son comté, pèse son pain. Les adhérents - il n'y a pas de clients à "la coop" - sont même sollicités pour tenir la boutique. Bon nombre acceptent avec plaisir de donner quelques heures de leur temps pour tenir les permanences. "La coop" n'est pas un magasin comme les autres, seuls les néophytes s'interrogent sur le turn-over des "vendeurs".
Si "la coop" occupe beaucoup Anne et Eddy, elle n'est pas, loin s'en faut, leur seule activité. Depuis que le conseil municipal a voté le principe d'une réhabilitation-rénovation de l'îlot, Eddy défend l'idée selon laquelle les habitants doivent créer leur propre société HLM et devenir collectivement propriétaire du quartier. Les difficultés de l'entreprise ne l'effraient pas mais se pose un problème technique : depuis 19.., aucune nouvelle société HLM ne peut être créée ! Il faut donc s'affillier à un organisme existant. Eddy prend son bâton de pellerin et part à la recherche de l'oiseau rare capable de monter une opération en partenariat avec des squatters. Il a dans la poche un petit opuscule qu'un architecte

vient de publier chez Adèlce. Plusieurs opérations de réhabilitation ou de construction en concertation avec les habitants y sont décrites. L'une d'elles s'est déroulée de l'autre côté du Pont de Sèvres à Boulogne. Son principal artisan s'appelle Claude Néry, il est directeur de la société HLM Emmaüs. Les Compagnons de l'abbée Pierre ne sont donc pas tous chiffonniers ! Eddy rencontre Claude Néry, puis sur son conseil, Pierre Barre, le directeur du département construction de l'Office.
Pierre Barre est enthousiasmé par ce que lui raconte Eddy. Il demande à voir, discute avec les uns et les autres et finalement décide de monter un projet d'acquisition-réhabilitation. Roger Fajnzylberg est intéressé par la proposition d'Emmaüs, le prix que lui propose Pierre Barre pour l'achat du quartier est symbolique, mais l'office HLM achète occupé, ce qu'aucun promoteur classique n'est prêt à faire. L'un d'eux , le GET, a d'ailleurs fait une offre à la mairie limitée aux immeubles de la Grande Rue, la façade sud de l'ilôt. Le lot comprend également trois immeubles de la rue des Caves, les 5, 7 et 11 qui sont physiquement imbriqués dans les 86 et 88, Grande Rue. La mairie pour sa part entend conserver le terrain vague de la rue de Ville d'Avray, côté impair, ainsi que trois immeubles sur la rue Croix Bosset : "la laverie", "la boucherie" et le 88. Ces immeubles désertés par leurs habitants ont été murés quelques mois plut tôt.

 
Le bureau de renseignement du GET est sauvagement tagé
tandis que sur les murs de l'ancienne teinturerie les affiches d'ARAIVA
et celles de la CGL proposent l'altenative à la promotion privée

Le découpage convient à Emmaüs. L'office HLM comprend que la mairie veuille conserver des terrains et ne saurait pas bien quoi faire des surfaces commerciale de la Grande Rue, sa vocation étant, avant tout, de proposer des logements.
Si Emmaüs n'est pas preneur des immeubles de la Grande Rue, d'autres sont prêts à se battre pour contrecarrer les visées des promoteurs privés. L'Association pour la réhabilitation autogérée de l'ilôt de ville d'Avray, ARAIVA, se crée. Elle regroupe des familles qui évoluent autour de "la coop". Une sorte de deuxième cercle plus large que celui de la rue des Caves, mais si peu... On y retrouve Frédéric Puzin, qui fréquente la rue depuis plusieurs années et a été élu conseiller municipal PSU en 1977, Marie-Claude et Patrice Pollet qui militent dans les associations de parents d'élèves, , , . Tous ont des situations stables, et peuvent envisager d'acheter. Ils se retrouvent donc autour d'un projet d'habitat autogéré.
Les réunions d'ARAIVA se tiennent dans un local situé juste au-dessus de "la coop" et auquel on accède par un escalier intérieur. L'endroit sert de bureau, Eddy tente d'y faire survivre l'imprimerie Alternative grâce à une photocopieuse dernier cri et un appareillage d'ordinateurs.
ARAIVA bâtit un projet alternatif à celui de GET. Il concerne 50 à 60 logements, 15 locaux pour commerces et activités, en tout 5 000 m2. Tous les immeubles du 92 au 84 Grande Rue, c'est-à-dire tout le côté pair, le Café de la République mis à part.
Peu de Caviens sont impliqués dans l'aventure ARAIVA. Les habitants de la rue ont d'autres chats à fouetter. Il leur faut en particulier organiser la concertation entre Emmaüs, les habitants, la mairie et un architecte. Eddy, encore lui, fait se rencontrer Olivier Dugas, l'architecte qui avait donné la main lors du concours du Plan construction et Pierre Barre. Entre les deux hommes le courant passe tout de suite. Olivier a des idées, connaît les lieux, a la confiance des habitants et sait faire preuve de pragmatisme. Reste à trouver un lieu pour implanter l'atelier de quartier. A décider qui va payer les travaux. Qui va les réaliser. Qui fera fonctionner l'atelier. En attendant de se mettre d'accord, des habitants se retrouvent chez Emmaüs avec Olivier Dugas, Pierre Barre et Jacques Alvarez qui est chargé de l'aspect technique du dossier. Le 2 juin, Denis, secrétaire de séance, écrit Si Emmaüs signe la convention à la mi-juin, Alvarez prévoit le début de la réhabilitation à la fin du premier semestre 1981.
Avec l'été reviennent les travaux. Le gros morceau, c'est le déménagement de la crêche parentale qui descend d'un étage et s'installe à la cordonnerie. L'accès au jardin est plus difficile mais cela permet de gagner de la surface habitable. Jacques Schweitzer, que tout le monde appelle Jakie, Aurore Coddazi et ses deux enfants Laurent et Damien s'installent au premier.
Côté rue de Ville d'Avray, des travaux d'un autre genre ont lieu. Depuis que le PUNK a rendu son tablier, un très beau local est disponible. Philippe Rambeau, qui s'est initié à la restauration de meubles avec Bertrand dans la boutique voisine, y installe L'Atelier d'art.


Anne Charrière et Marie-Claude Pollet-Hernet
deux piliers d'ARAIVA



"Un projet d'habitat à saisir d'urgence"


soirée Lettriste au Punk

Suite