1981

Roger Fajnzylberg est songeur. On le serait à moins, il vient de se faire exclure du PC. Ses prises de position publiques condamnant la politique menée par l'URSS en Afghanistan et son soutien au dissident Henri Fizbin ne lui ont pas été pardonnées. La sanction est lourde de conséquences car un maire exclu doit abandonner son mandat électif ! Bien sûr le maire de Sèvres n'est pas du tout prêt à jeter l'éponge. Mais pour conserver sa place et garder sa légitimité, il doit être soutenu par un large mouvement populaire, par un gros bataillon de membres du parti et par une importante majorité de conseillers municipaux. Un plébiscite de cette ampleur nécessite une sérieuse organisation et Roger Fajnzylberg n'a pas trop de tout de son temps pour cela. Mais comme les travaux qu'il a fini par décider de faire faire au 10 de la rue de Ville d'Avray pour installer l'atelier de quartier sont bloqués, il risque une lettre circulaire "aux habitants de l'ilôt de Ville d'Avray" : (...) des habitants de l'ilôt prétendent avoir des droits sur le magasin du 10 de la rue de Ville d'Avray (bloquant les travaux). Nous sommes étonnés par de tels agissements, d'autant que ce lieu étant inoccupé, avait été retenu d'un commun accord et sur la proposition des habitants (...). L'affaire se règle à l'amiable

mais il n'empêche que cela fait désordre. Les habitants souhaiteraient apparaître aux yeux de la mairie et d'Emmaüs comme un groupe, sinon cohérent , du moins structuré. Les militants décident alors de créer une structure et déposent à la sous-préfecture de Boulogne les statuts d'une association nommée Association des habitants de l'ilôt de Ville d'Avray. Christine, qui vit au 25 avec Thierry, en est présidente, Denis secrétaire et Jackie trésorier. Pour l'instant les membres de l'association sont des habitants du haut de la rue et les cotisations sont prélevées directement sur le collectif loyer. L'association, pour être représentative, devra rapidement impliquer les habitants du bas de la rue, mais ceci n'est qu'un début. Du point de vue institutionnel, des contacts sont pris avec la mairie et Emmaüs. Reste maintenant à entériner l'existence de l'association par des actions concrètes. La reconstruction du 26 bis est programmée. L'endroit n'a pas été choisi au hasard. Olivier Dugas veut construire sur le jardin et par conséquent raser les 26 et 26 bis. Le projet qui s'appuie sur une théorie de densification des centre-villes au profit des classes populaires est de nature à séduire Emmaüs. Les habitants apprécient beaucoup moins et les relations avec Olivier Dugas se tendent. Le jardin, c'est bien autre chose qu'un terrain à construire. C'est un lieu sociale, une respiration. Il s'agit donc de bâtir un rapport de force et l'expérience prouve que dans ce type de

 
Luc Blanchard et Hermann vidant le 26bis

situation les ruines ne rapportent rien. Du 26 bis il ne reste que quatre murs retenant des tonnes de gravats en tous genres. Des bennes sont louées et les terrassiers se met au travail. Dans ce contexte plutôt joyeux, la nouvelle du décès de Pierre Barre, tué dans un accident de voiture, tombe comme une douche froide.Les habitants viennent de perdre leur contact avec Emmaüs et du coup c'est le silence radio.
Le 10 mai, une autre actualité envahit tout : François Mitterrand est élu Président de la République, la France passe à gauche avec armes et bagages. Les Caviens comme les autres se retrouvent à la Bastille, c'est la fête. Certes Mitterrand c'est la sociale démocratie mais personne ne doute que son élection, si l'on s'en donne les moyens, peut être le tremplin d'une nouvelle société. Dans les kiosques à journaux de Sèvres, Meudon, Chaville et Boulogne un journal trouve les mots pour le dire : On nous l'avait dit, on nous l'a répété, on a voté, et tout d'un coup c'est arrivé. Comme un fruit qui voit rouge d'avoir été vert trop longtemps. Comme une fracture dans le corps électoral. Même nos communes, Meudon, Sèvres, Chaville ont poussé ce petit pourcent qui fait tomber le couperet. Depuis c'est l'état de grâce d'un côté, l'état de choc de l'autre. Mais on n'en demandait pas tant ! Entre le Nirvana béat et le chaos pas beau. Moi je voulais que la rose pousse surtout à ma fenêtre.
Mais comme les roses ne poussent malheureusement pas toute seule, on a décidé de faire ce journal pour s'échanger les recettes. Pas un journal pour relancer les images des jardins fleuris des partis, de ceux qui ont de grosses rotatives pour arroser leurs légumes à grands coups de mass-média, mais un vrai journal local enraciné dans ses lecteurs. Un journal pour rythmer l'histoire de nos communes (...) Un journal pour construire nos histoires communes (...) Bref un journal à échanger, à créer et partager. Pour que nous habitions un coin... Qui Vive.
L'éditorial annonce la couleur, le journal lui est en noir et blanc, il s'appelle Qui Vive. L'équipe de rédaction conduite par Denis Le Parc et Luc Blanchard s'est installée au 10 de la rue des Caves dans les locaux que l'union locale CFDT partage avec l'ASTI. Elle rassemble des gauchistes de tous poils, venant de Sèvres et des communes voisines. Tous veulent "penser globalement et agir localement". En quatrième de couverture, une bande dessinée "La grue" a pour cadre l'ilôt de Ville d'Avray et met en scène les gens de "la coop", l'immonde Pénicault, des voyoux et des flics.


Laurence Lagallo, 25/12/2009 18:43

Salut Luc, j'ai lu et revu avec émotion l'histoire de la rue des caves où j'ai vécu quelques mois. Après l'avoir arpentée de long en large en allant au lycée technique rue du docteur Lederman (c'est drôle dans mon souvenir on l'appelait rue des binelles !) j'ai fait la connaissance de quelques junk au 22 rue des caves qui a l'époque était squatté.
De fil en aiguilles j'ai rencontré des personnes engagées qui avaient de beaux projets pour ce quartier qu'ils refusaient de voir démoli. Des personnages qui ont marqué la rue comme Danielle et celle-ci à notre retour du Mexique nous a invité à occuper sa chambre qu'elle désertait pour quelques semaines étant très occupée au journal Autrement.
Nous étions alors dans le dernier immeuble de la rue des caves, celui qui faisait le coin avec la rue qui montait au lycée. Je me souviens que tu occupais l'appartement du rez-de-chaussée. Ensuite il y avait Jacky, Aurore et ses deux garçons et au premier le salon, la salle de bain et la chambre de Luc (chez qui on allait regarder la télé !!!). Au dernier Doumé et son copain saxophoniste, elle aussi jouait du saxo si mes souvenirs sont bons et la chambre du fond à gauche qui était celle de Danielle où nous sommes restés quelques semaines avec Bernard Bloch mon compagnon de l'époque.
Nous avons aussi squatté un appartement dans un immeuble de la rue du bas, là où Eddy et Anne avaient ouvert une épicerie, d'ailleurs à cette époque Anne était déjà partie et Eddy vivait avec une jeune fille qui attendait leur bébé. Je me souviens de cet appartement lugubre où nous nous chauffions avec un très joli poële bleu que nous avions acheté chez Emmaüs. Les voisins du dessous élevaient des poules sur le palier !!!
Je me rappelle encore de Norbert, des jolies jumelles blondes, de Christophe le peintre, de Denis. Il me semble avoir reconnu sur la photo avec Manu Chao, le trublion Marc Winandy.
Quelle époque, même si je ne suis pas restée longtemps, cette période de ma vie m'a profondément marquée et influencée dans mes choix. Je me souviens que tu étais déjà très engagé dans l'écologie et je vois que tu es resté fidèle à tes engagements. Je suis heureuse d'avoir croisé votre route.

Le n°1 de Qui vive


et l
e n°2

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