1982

Dans son numéro 2, Qui Vive rend compte du procès qui oppose Anne et Eddy à la police. L'inculpation d'Anne pour séquestration de policier a fini par se juger en décembre. Un collectif d'avocats a été constitué mais c'est le père de la "défense de rupture", Jacques Vergès, qui plaide et fustige la raison d'État évoquée par le procureur pour justifier les lourdes peines qu'il réclame. Pour Jacques Vergès, qui a défendu les fedayin pendant la guerre d'Algérie et les Palestiniens d'El fath en 1969, la partie est facile. Il n'a aucun mal à otenir le non-lieu. Eddy retourne à "la coop", Anne s'envole pour l'Inde ; on ne dira plus "Anééddy".
En ce début de l'année 1982, Roger Fajnzylberg prépare la création d'une association, Sèvres Demain, qui doit lui permettre d'établir un rapport de force suffisamment convaincant avec le PS pour être à la tête de la liste de gauche lors des munucipales de 1983. Il se prépare également un bilan positif en poussant les entrepreneurs engagés dans les différents chantiers en cours à aller vite. Sur le terrain vague en face de l'église, le chantier avance bien. Rue de Ville d'Avray, en face de l'ilôt, des HLM signés Jean Fourquin, un architecte sévrien, sortent de terre. A la Garenne Gallardon, l'immeuble du Félix Potin se termine, au Postillon des

 

Bruyères, enfin, un vaste chantier est en train de s'ouvrir. En mai, premier avertissement pour le maire de Sèvres, le candidat de l'union de la droite UDF-RPR est élu au conseil général à la place de Georges Lenormand. Jean Caillonneau, c'est le nom du nouvel élu, est pour beaucoup un parfait inconnu. Qui se souvient que sa femme fut, elle aussi, conseillère générale de 1970 à 1976?
Roger Fajnzylberg qui par prudence ne s'est pas présenté n'en a pas moins senti le vent du boulet. S'il veut gagner en 1983, il lui faut élargir le plus possible son réseau de sympathisants. Pour ce faire il est prêt à donner des gages d'amitié à tous. Si par la même occasion ses largesses peuvent lui permettre de résoudre des situations apparemment bloquées, c'est encore mieux. Les Enfants animateurs qui, contraints de quitter leur maison de la rue Brancas, végettent au CAC dans un bâtiment préfabriqué, se voient attribuer une maison en centre ville, "la laverie", qui reste ainsi dans la famille. Le maire signe également une convention avec Emmaüs pour la vente de l'ilôt de Ville d'Avray, amputé de La Grande Rue et du bas de la rue des Caves (5-7-9).
L'article 3 est rédigé comme suit: La s.a. HLM Emmaüs envisage la réhabilitation de cet ensemble immobilier dans le cadre d'une opération acquisition-amélioration. Elle s'engage dès à présent à reloger sur place en priorité les occupants actuels quel que soit

 
La tonnelle devant le 22, de la ballustrade vue imprenable sur le 21-23 en ruine

leur statut (locataires, bailleurs, occupants sans titre, squatters...). Du jamais vu en la matière ! Pierre Barre avait bouclé son dossier de main de maître. Reste maintenant à réaliser l'opération. Pour cela Emmaüs vient de se doter d'un nouveau directeur de la construction, Jean-Michel Hercelin. A la différence de Pierre Barre, c'est un technocrate qui ne rêve ni de projets novateurs ni de concertation. Il est directeur de la construction, il pense construction et demande à Olivier Dugas, qui a su s'implanter dans l'Office, de préparer des dossiers de permis de construire. Le premier concerne un ensemble appelé "Le Ruisseau de la Forge", il compte 48 logements et doit être construit sur le terrain du 21-23. Le second est plus modeste, 16 logements qui doivent être édifiés sur le jardin. Pour ce qui est du reste, il prend les habitants du haut et demande à ce que dans chaque immeuble des interlocuteurs représentatifs lui soient indiqués. Qu'à cela ne tienne, le 13 août, une liste de représentants d'immeuble est transmise au conseil d'administration d'Emmaüs. Une lettre inquiète y est jointe : (...) L'attitude de monsieur Hercelin nous conduit à nous demander si elle traduit une simple difficulté relationnelle ou un changement radical de la politique de votre société. (...).
Dans les réunions d'habitants, tous s'accordent à penser que, quels que soient les projets d'Emmaüs sur le quartier, il importe de ne pas perdre l'initiative. Pour cela il faut que les habitants se paient leurs propres chargé d'études. Trois habitants du quartier sont d'accord pour dégrossir le terrain, sur un plan à la fois technique et juridique. Jean-Pierre Jacquot est architecte, Rémy Le Parc et François Montaras sont sur le point de le devenir. L'affaire est entendue. "On" s'engage même à rémunérer leur travail.
Ce "on", pronom indéfini, rend bien compte de la situation. Car un an après la création de l'association Groupe de l'ilôt de Ville d'Avray, force est de reconnaître que la greffe n'a pas pris. En février, le collectif qui lui servait de support a implosé. Luc notait alors dans son journal : Mercredi 24 février 1982 (Cendres), le collectif est mort d'une fracture, le désir du 22 de gérer l'immeuble de façon autonome a fait se tourner une page. Que va-t-il renaître de ces cendres-là?
De ces cendres-là naissent des individus, certains ont projeté leur grand rêve à l'extérieur du quartier : Danielle Desgués, par exemple, est sur le point de créer un réseau de boutiques de gestion dans la mouvance de la revue Autrement. D'autres ont rejoint ceux qui ne rêvaient plus depuis longtemps, depuis le GR Sèvres, d'une communauté militante et s'investissent dans un travail, dans une passion. D'autres encore ont des enfants, fondent des familles.



L
a tête de proue du quartier, la Marianne de chez Nicole,
les promoteurs annoncent la couleur, les insurgés aussi





Jane Thies-Azemar et sa fille Line

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