1984

Pépé observe de sa fenêtre du 25 les travaux qu'Emmaüs a entamés sur le 21-23. Il imagine les façades dans le pur style Beaufil dessinées par Olivier Dugas, et trépigne. Que valent ces cages à lapins dont on s'est contenté de ravaler l'emballage comparées aux bonnes vieilles maisons en pierre ? Les heures passées la truelle à la main font qu'il en connaît chaque recoin, et le lien qui s'est créé entre eux n'a rien d'un romantisme surranné. Déjà quelques mois plus tôt, de cette même fenêtre, il a vu tomber le cinéma, et cela lui a fait mal. Sans doute ne pouvait-on plus rien faire de ces grosses bâtisses en très mauvais état ou inadaptées, il n'empêche ...
Il n'est pas question pourtant de sombrer dans la mélancolie, pendant les travaux, les travaux continuent. Musiques Tangentes a besoin de place, l'aile du 25 fera l'affaire, bien sûr il faut reconstruire et personne ne s'est jamais attaqué à de véritables travaux de construction. Qu'à cela ne tienne, Pépé a fait la connaissance d'un maçon, un vrai "pro" qui a accepté de diriger les travaux. Il prend donc sa plus belle plume et lance une souscription pour des travaux d'envergure qui comprennent la reprise des façades côté immeubles neufs. Pour la réussite de cette

 

opération et si les habitants se sentent concernés, une souscription de 300 francs par personnes serait la bienvenue.
On en cause au Gros Balzac, que Laurent Cowet et Richard viennent de réouvrir après une courte fermeture . Thierry, en effet, a déclaré forfait et est retourné à ses travaux... de peinture ; il vient d'ailleurs de décrocher le Prix de Rome et s'apprête à partir un an à la Villa Médicis dans la capitale italienne.
Certes l'aile du 25 est stratégique si l'on veut contrecarrer les plans de Dugas qui entend bien prolonger le Ruisseau de la Forge jusqu'à la maison Gravant, mais là n'est pas le seul point faible.
Emmaüs, profitant de la torpeur de cette fin de mois d'août, vient de tenter d'abattre le mur du jardin. L'entreprise chargée des travaux a été arrêtée de justesse. L'intervention d'un conseiller municipal en la personne de Frédéric Puzin n'y est pas pour rien. Frédéric est d'autant plus concerné par l'avenir du quartier qu'il vient d'acheter le 14 avec l'argent qu'il avait mis de côté pour ARAIVA. Cette petite maison enclavée dans le patrimoine Emmaüs était jusque-là occupée par Suzanne Hérouette, la seule habitante à avoir toujours refusé de quitter le quartier, même après son expropriation.
Quoi qu'il en soit et malgré ce répit, le quartier est menacé par tous les bouts. Il est temps pour Espace et Vie de taper du poing sur la table. Dans une missive de cinq pages,

 
Qui vive s'installe au 26

l'association interpelle Emmaüs. (...) Où est la concertation promise, les informations, la reconnaissance? (...) Nous exigeons donc une restauration immédiate des rapports de dialogue afin que le contrat qui nous lie soit respecté, et dans la forme, car il est des méthodes inadmissibles, et dans le fond . A dénier toute légitimité à la parole des habitants, c'est sa propre position que la société Emmaüs rendrait ici illégitime, dans l'esprit sinon dans la loi (...).
Une autre réponse au coup de force d'Emmaüs se prépare. C'est l'installation de Qui Vive au 26. Le journal, que les habitants du 10 ont gentiment poussé dehors, est prêt à tenter le coup. Tous ne sont d'ailleurs pas d'accord avec cette installation. Faut-il en effet jouer la guerre totale avec Emmaüs ou au contraire lâcher du lest sur le jardin pour sauver le 25 ? Les stratégies divergent mais mais ce n'est pas tout. Pour beaucoup Qui Vive, comme "la coop" et ARAIVA, est l'instrument d'un groupe potentiellement totalitaire, celui des militants. Ils ont renoncé au leadership sur le quartier en abandonnant l'association Groupe d'habitants. Ils se sont fondus dans Espace et Vie, mais il n'empêche qu'on les soupçonne toujours de vouloir monter en première ligne pour imposer leur rêve d'une communauté militante. L'initiative de l'installation est donc accueillie avec circonspection, elle a pourtant lieu. Yann Fradin, l'un des piliers du journal,quitte le 88, Grande rue pour s'installer au rez-de-chaussée du 26, Qui Vive occupe le premier étage. Emmaüs ne tarde pas à réagir en lançant un référé d'expulsion contre l'association . Pourtant, suivant la bonne vieille méthode qui consiste à souffler alternativement le chaud et le froid, l'Office écrit à Espace et Vie. Pour la première fois le nouveau propriétaire s'adresse à ses gens. Le directeur général, Claude Néry, accuse réception de la liste des habitants transmise 18 mois plus tôt, et évoquant l'affaire Qui Vive, affirme que le problème des associations est délicat, aucun financement n'étant prévu pour elles dans le cadre d'une opération HLM. Il ne dit pas "une opération HLM classique" mais le sous-entendu n'échappe à personne.Claude Néry conclue néanmoins qu'une large concertation est nécessaire. Tout peut, peut-être, encore s'arranger.
Pour le jardin, en tout cas, c'est fini. Emmaüs a sans difficulté obtenu l'expulsion du 26, et s'apprête, renforts de police à l'appui, à prendre possession des lieux. Le 18 décembre, la police trouve la porte du 26 ouverte et les locaux vides. Qui Vive s'est replié sur un vaste local au 19, avenue de l'Europe. L'équipe du journal gagne au change et se marre en lisant République, une revue estampillée RPR que vient de lancer J.-J. Guillet, le premier adjoint du maire de Sévres.


Le Ruisseau de la Forge sortait à peine de terre
le 25 faisait de la résitance et Denis un reportage
sur le métier de poseur de pavés,
pour Qui vive évidemment


Hercelin et l'avocat d'Emmaüs tentent d'ouvrir le jardin du 28

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